Chinoise et contemporaine
« Un peintre de notre époque mais d’influence orientale, d’inspiration chinoise : je reste chinoise et contemporaine. » L’œuvre de Lalan s’inscrit entre deux cultures: entre le patrimoine de l’une des plus anciennes civilisations au monde et la scène artistique parisienne de la seconde moitié du vingtième siècle. » En conciliant ces deux perspectives parfois antithétiques dans son œuvre, Lalan rejoint d’autres artistes chinois de renom qui travaillèrent à Paris pendant la même période, en particulier son premier mari, Zao Wou-Ki, ainsi que Pan Yulian, Sanyu et Tang Haiwen, qui résistèrent tous à la pression de peindre comme leurs contemporains occidentaux, ou de chercher refuge dans les thèmes familiers de la peinture chinoise traditionnelle à l’encre et au pinceau. Chacun sut, en effet, trouver un style personnel, distinct, qui fit de l’échange culturel un point de départ et non pas une entrave. Lalan n’y fit pas exception. Chinoise de naissance, Xié Jing-Lan dite Lalan, vécut en France pendant près de cinquante ans, obtint la nationalité française mais ne songea jamais pour autant à renier son passé. Interaction complexe entre tradition et invention, Orient et Occident, son art rappelle constamment cette dualité culturelle dans laquelle il s’exalte.
De l’univers insaisissable de ses débuts, fait de signes calligraphiques et de tonalités sombres, aux cascades de paysages abstraits de la fin de sa vie, en passant par les austères étendues lunaires, les huiles, paravents, aquarelles et rouleaux, les œuvres de Lalan révèlent une sensibilité inspirée et une créative exceptionnelle. Biculturelle, elle étant douée non seulement pour la peinture, mais aussi pour la composition, la danse, la chorégraphie, la mise en scène, l’écriture et la poésie. Peu avant sa mort en 1995, elle travaillait à une réalisation (Danse du Qigong) qui témoigne de la prodigieuse diversité de son talent: filmée par Raphaël Dupouy, Lalan âgée de 70 ans passés, accomplit une danse à la fois d’influence occidentale et d’inspiration traditionnelle chinoise. Il s’agit d’une succession de mouvements maîtrisés, fluides, élégants, avec une chorégraphie sur fond de musique électronique de sa propre composition, tour à tour résonance intense ou subtil rappel de la présence du son. La scène est délimitée dans l’espace par quatre grands rouleaux, rappels de l’eau, qui se tournent vers l’abstraction pour devenir essence de fluidité, de mouvement, faisant écho à la musique et aux gestes extérieurs de l’artiste ainsi qu’à un monde intérieur plus fugace. C’est sa personnalité qui se révèle dans ses œuvres les plus abouties: une source vive de talent et d’adresse, qualités en partie dissimulées par l’aspect souvent subtilement discret, de prime abord, de son art.
Nommée chevalier sans l’Ordre des Arts et des Lettres par le Ministère français de la Culture en 1975, Lalan exposa de nombreuses fois avec succès, et ses tableaux furent acquis, entre autres, par le Musée d’Art Moderne de la ville de Paris, le Fonds National d’Art Contemporain (FNAC), Fonds Régional d’Art Contemporain (FRAC), plusieurs centres culturels, la Société des Auteurs Compositeurs et Editeurs de Musique (SACEM),le Ministère du commerce et de l’industrie, ainsi que par de nombreux galeriste et collectionneurs. Toutefois, elle fut victime de sa propre modestie, son œuvre demeurant largement méconnue. Sa réserve naturelle l’empêcha de s’affirmer auprès du grand public, chose rendue souvent indispensable dans le monde des arts de la fin du XXe siècle. Lors de fréquents voyages en Chine, elle consacra ses efforts à la promotion des échanges culturels entre la France et la Chine, plutôt que d’essayer de faire connaître son œuvre. En Europe, elle tourna le dos à l’ego exaspéré qu’elle avait observé chez tant d’artistes occidentaux. Lalan était d’une profonde humilité, allant même jusqu’à parler d’un sentiment de ‘honte’, qu’elle considérait comme un trait saillant du tempérament chinois : “Nous avons une éducation tellement fermée, cloisonnée, qu’elle nous empêche de nous affirmer’’. En 1980, elle admit : ‘‘En fin de compte, ma carrière ne m’intéresse pas beaucoup. Seul le travail me passionne.”